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Chantons dans le placard

Michel Heim, directeur des Caramels Fous depuis plus de 20 ans, est également l’auteur de la plupart des spectacles présentés soit par la compagnie, soit par des groupes issus de la compagnie : revues musicales et déjantées aux arguments très gay (actuellement Les Dindes Galantes au Trianon, et prochainement reprise de La Bête au Bois Dormant), pièces de théâtre historiques mais parodiques (Néron la Romaine ou La Nuit des Reines) écrites en alexandrins jouissifs. Michel Heim est également l’auteur de Chantons dans le Placard qui débute le 1er mars au Tango. Entretien avec un artiste aux multiples talents dont l’exubérance sur scène n’a d’égale que sa timidité naturelle...

Cela fait bien plus de 20 ans maintenant que vous faites de la scène ?
Oui, 24 ans même ! L’aventure a commencé en 1982 lorsque Jurgen, patron du piano-bar « Le Piano Zinc », de retour des USA, décide de créer un choeur d’hommes, « Choeur Accord » avec un répertoire de chansons françaises de tous horizons. Je les ai rejoints dès leur deuxième concert, mais en 1985, Jurgen quitte le choeur. Nous avons décidé de continuer de chanter et avons adopté le nom de Caramels Fous. Notre premier spectacle Pas de Banane pour Lady Jane a tout de suite donné le ton : un fil conducteur relativement ténu mais très parodique et des chansons françaises de tous genres. Ensuite ce fut La Chose Pourpre du Caire qui, comme son titre l’indique, se passe en Amérique du Sud à l’époque des conquistadors ! Pour ce spectacle, un grand effort a été fait pour les costumes. Ensuite La Dernière Tentation d’Ulysse marque deux innovations majeures pour la compagnie : l’arrivée des micros HF pour tous les interprètes, ce qui donnait une grande liberté dans la mise en scène, et la réécriture totale des textes des chansons, ce qui permettait alors de mieux « coller » à l’histoire et donc d’avoir un scénario plus construit.

Aviez-vous eu auparavant, dans votre jeunesse, des velléités artistiques ?
Adolescent, j’étais surtout attiré par le cinéma ; j’avais même tourné quelques courts-métrages. D’ailleurs le sujet de Pas de Banane était un tournage de film. Puis très vite, l’écriture surtout m’a attiré. J’ai d’ailleurs écrit un roman, Gabriel Ricordi, qui a été unanimement refusé par les éditeurs : il racontait l’histoire d’un personnage qui se travestit tout le temps en changeant de personnalité... L’écriture de chansons pour les Caramels Fous est vite venue combler ce désir, mais j’ai quand même eu envie d’aller davantage vers le théâtre, ainsi j’ai été amené à écrire Néron La Romaine, La Nuit des Reines, etc.

Curieusement, soit vous écrivez des chansons pour revues parodiques, soit des pièces de théâtre non musicales. Comment se fait-il que vous n’ayez pas abordé le genre spécifique, à la fois théâtral et musical, de la comédie musicale ?
Pour plusieurs raisons. Bien qu’ayant une culture opérette, je n’en considère pas moins que le passage du parlé au chanté et vice-versa, dans le domaine de la parodie, n’est pas évident et peut facilement dégénérer en une forme de ridicule... Par ailleurs, il est plus facile d’aller loin dans la parodie en chantant qu’en parlant. La troisième raison a plutôt à voir avec la compagnie elle-même. Pendant des années, la sélection a été légère, il suffisait que les personnes qui entraient dans la compagnie aient envie d’être sur scène, sachent chanter et puissent bouger sur quelques chorégraphies. Il était difficile de leur demander d’être en plus de bons comédiens avec ce que cela implique : tenir un même rôle tout au long de la pièce, être un peu en roue libre dès qu’il n’y a ni chant ni chorégraphie, assumer une présence sur scène, etc. Bien entendu, depuis quelques années, nous sommes bien plus exigeants à l’embauche, mais la plupart des Caramels préfèrent la formule « revue chantée et dansée », et ceux qui veulent faire du théâtre font partie de la petite troupe des « Amis de Monsieur » qui interprète les pièces non musicales, et qui d’ailleurs intègre des membres féminins, contrairement aux Caramels Fous où il n’y a que des membres masculins.

Il me semble tout de même que vous ayez fait une tentative...
Effectivement, le spectacle Mamma Rosa pouvait s'apparenter davantage à une pièce de théâtre agrémentée de chansons qu’à une revue. Des monologues écrits en alexandrins, des scènes parlées assez longues, un scénario plus construit ; mais la formule n’a pas pris et nous sommes revenus à ce que nous avions l’habitude de faire.

Avec Les Aventures de l’Archevêque Perdu, la compagnie fait un bond important...
Oui car ce spectacle arrive après une période de crise au sein de la compagnie, période par ailleurs dramatique car plusieurs membres ont été emportés par le SIDA. Nous nous sommes retrouvés à cinq, sans un sou, mais nous avons décidé de continuer. Après recrutement de sept personnes et le choix d’un sujet qui nous évitait des dépenses de costumes (tout se passe dans un monastère !), nous avons réussi à monter ce spectacle qui a effectivement remporté un immense succès. Nous sommes ensuite passés de 12 à 40 membres et avons eu alors les moyens de monter les spectacles suivants avec des budgets bien plus importants : Il était une fois Tataouine qui nous a permis de conjuguer les univers fantasmatiques des 1001 nuits et de la Légion Étrangère, puis La Bête au Bois Dormant, cocktail explosif de contes de fées, qui marque l’adoption, contrairement à presque tous les spectacles précédents, de personnages féminins au sein du scénario (cependant joués par des hommes !).

Les deux spectacles suivants, La Vie Rêvée de Solange et La Revue qui va faire Mâle ont un peu dérouté...
Tout au long de ma carrière, j’ai toujours été assez militant, mais cela ne se manifestait pas forcément dans nos spectacles. J’ai voulu intégrer du social et du politique dans ces deux revues. Cela a été diversement apprécié, mais elles ont quand même eu un grand succès et je ne regrette absolument pas de les avoir faites. Il me semblait important d’évoquer le racisme, la violence policière, l’homophobie, la précarisation, etc. Le public a peut-être été un peu dérouté mais il a bien compris notre démarche. Avec Les Dindes Galantes, nous sommes revenus à quelque chose de plus frivole et superficiel.

Je ne suis pas tout à fait d’accord car la composition « sociale » de la basse-cour reproduit fidèlement, bien que de façon stéréotypée, celle de notre société actuelle et met le doigt sur certains dysfonctionnements et certaines hypocrisies.
Si vous le dites... Nous avons peut-être trouvé le bon dosage !

Venons-en au dernier spectacle que vous avez écrit : Chantons dans le Placard. Qui en a eu l’idée ?
L’idée vient d’Hervé Latapie, gérant du club « Le Tango », qui avait, il y a quelques années, produit un disque de compilation de Chansons Interlopes et un récital du même nom par Benoît Romain. C’étaient principalement des airs des années 20 et 30 qui évoquaient l’homosexualité. Hervé pensait à un spectacle qui mettrait en situation ces textes chantés afin de montrer comment l’homosexualité a été traitée dans la chanson, et suggérait le comédien Denis d’Arcangelo (qui vient d’interpréter Madame Raymonde au Vingtième Théâtre). L’argument que j’ai proposé ne leur a pas paru suffisamment théâtral, et j’ai revu ma copie en obtenant par ailleurs deux comédiens-chanteurs et un pianiste pouvant tenir un rôle. J’ai donc développé une histoire assez simple, avec de vrais personnages ; cela fonctionne bien et les chansons sont très amusantes. Elles ont été reprises telles quelles, sans aucun détournement de paroles, car il y a une volonté didactique de les faire découvrir. Elles couvrent tout le 20e siècle et certaines ont été écrites par des artistes importants : Charles Aznavour, Catherine Lara, Véronique Sanson, etc.

Vous avez une actualité bien riche pour 2006. Et pour 2007 ?
Eh bien, je viens d’écrire une pièce de théâtre, Tante Olga, qui se jouera au théâtre de La Huchette dès le mois de janvier 2007. Finalement, je suis très content aujourd’hui de réaliser mon rêve d’adolescent qui était d’écrire des pièces de théâtre qui se jouent...

Marc Aflalo (1/3/2006)